Un interview pour en savoir plus
Curriculum vitae
Il n'y a pas encore de formation pour devenir eco-infirmier... mais nous y travaillons ! Voici mon CV.
Interview
Interview de Philippe Perrin, éco-infirmier
(juillet 2007)
Un éco-infirmier, qu’est ce que c’est ?
C’est un infirmier spécialisé sur les liens entre "pollutions et santé". Un professionnel de santé qui travaille dans le champ de la prévention primaire (celle mise en œuvre avant la maladie !) en réalisant différents types d’interventions visant à sensibiliser le public -ou d’autres soignants- aux risques sanitaires liés à la dégradation de l’environnement.
Comment peut-on devenir éco-infirmier ?
Il n’y a pas de voie structurée et établie pour ça, la profession n’étant pas reconnue. Evidemment, le titre d’éco-infirmier implique en premier lieu le diplôme d’état. Mais c’est à chacun de construire ensuite un parcours de formations et d’expériences lui permettant d’acquérir un savoir indispensable à son activité et une reconnaissance tant du public que de ses collègues (reconnaissance d’ailleurs aussi indispensable que les diplômes !).
Vous même, par exemple, comment êtes vous devenu éco-infirmier ?
J’ai justement associé à ma formation d’infirmier un autre diplôme qui n’avait -à priori- rien à voir, celui de conseiller en environnement. En fait, C’était un projet de longue date : Il y a bientôt 15 ans, je terminais ma formation d’infirmier par mon travail de fin d’étude que j’intitulais "Eco-infirmier, une autre voie ?". Je jetais dans ce document les bases de ce qui deviendrait quelques années plus tard ma profession. Après 4 ans d’exercice infirmier dans différentes structures (hôpitaux, cliniques mais aussi en santé scolaire et santé au travail), j’ai donc poursuivi mon projet avec deux diplômes : un titre Universitaire de Santé publique à Grenoble : “L’homme, l’animal, le milieu” et un titre d’Eco-conseiller à Strasbourg. C’est une formation permettant de devenir conseiller en environnement auprès de communes, d’entreprises, d’industries... J’ai travaillé 3 ans dans ce cadre en région Midi Pyrénées.
Enfin, j’ai terminé le tout par quelques années passées comme formateur à l’IFSI (Institut de Formation en Soins Infirmiers) de Valence.
Mais, combien y a t-il d’éco-infirmier en France ?
En fait, je pense que j’en suis le seul exemplaire ! J’espère vivement être une espèce en voie d’apparition !
C’est vous qui avez créé la voie ?
Oui... et ça n’a pas toujours été simple ! Bien souvent, dans l’idée que s’en fait le public (comme d’ailleurs les soignants eux mêmes !) un professionnel de santé travaille auprès des patients, des malades. L’éducation à la santé, la prévention, c’est une activité secondaire qu’il réalisera s’il lui reste du temps ! Il faut déjà vaincre ces résistances pour faire accepter l’idée que l’on peut être professionnel de santé et ne plus travailler que dans le champ de la prévention !
Une autre difficulté dans l’exercice de cette activité c’est de trouver sa place, de faire reconnaître aux administrations diverses, aux structures avec lesquelles on travaille une forme d’activité et d’exercice “hors norme”. Une anecdote à ce propos : le jour de mon inscription aux Assedic au début de mon activité. Je travaillais à l’époque avec une dizaine d’IFSI de la région Midi Pyrénées et en attendant le développement de mon activité, je venais m’inscrire pour toucher un complément de revenus. Et bien, la personne que j’avais en face de moi ne pouvant me placer dans aucune des cases de son formulaire avait voulu (après conseil auprès de sa collègue) me considérer comme “intermittent du spectacle” !
Original ! Mais si vous n’êtes par intermittent du spectacle, en quoi consiste au juste votre activité d’éco-infirmier ?
Mon activité actuelle est, pour l’essentiel, d’intervenir dans plus d'une quarantaine d'IFSI un peu partout en France. Je réalise des cours, des travaux de groupe dans le cadre des modules de santé publique et d'hygiène. En terme de contenu, mes interventions portent sur les liens entre l'eau, l'air, les déchets, le bruit, l'habitat, la radioactivité, les rayonnements non ionisants (portables, micro-ondes...) et la santé mais aussi, les OGM, les pesticides, les perturbateurs endocriniens... Je réalise aussi pour différents IFSI divers modules optionnels sur “l'habitat et la santé”,” l'air et la santé”, “l'éducation à la santé et la publicité” (je traite de l'environnement au sens large !).
Mais je réalise aussi (pour des communes, des associations...) des conférences sur ces thèmes. Enfin, j’organise et j’anime des stages de formations grand public sur l'habitat, les contaminants alimentaires...
Dans quel cadre exercez vous ? Vous avez créé un organisme de formation ?
Oui, j’ai effectivement du créer une entreprise individuelle (sans quoi une partie de mon activité serait impossible à développer), mais je suis aussi salarié d’IFSI (d’hôpitaux en fait) pour des contrats de quelques heures.
Justement : combien gagne un éco-infirmier ?
Je vais faire la moyenne.... sur le seul cas que je connaisse : le mien ! Pour être clair, avec des revenus nets qui se situent entre 1500 et 1700 euros par mois, ce n’est pas très lucratif ! Il faut préciser que pour ce salaire, c’est un investissement colossal en temps, pour le suivi administratif, mais aussi la recherche documentaire, la mise à jour des connaissances (le sujet est extrêmement vaste !) et puis les transports ! Je passe une bonne partie de mon temps sur les routes. Sur les rails plutôt ! Je ne prends quasiment jamais ma voiture pour le travail. Je ne me déplace qu’en train. C’est, en plus d’un temps qui peut être dédié à l’approfondissement des dossiers (ou au repos !), d’abord un souci de cohérence entre mes propos sur la pollution de l’air et mes actes ! Mais c’est aussi un emploi du temps à rallonge ! Je pars couramment de chez moi (j’habite en Savoie sur Aix les Bains) entre 4 et 6h du matin pour rentrer rarement avant 21h.
C’est épuisant d’être éco-infirmier !
C’est, certes, fatiguant, mais c’est aussi passionnant ! Et je dirais qu’il faut être de toute façon passionné pour “ouvrir” une voie. Ceci dit, à terme, si le réseau d’éco-infirmiers se densifie, chacun sera plus “régionalisé”. L’activité sera, dès lors, plus facilement conciliable avec une vie de famille par exemple. Mais pour en revenir aux aspects financiers, mes revenus sont certes modestes en regard de mon investissement mais il est vrai aussi que je ne travaille pas forcément avec des clients fortunés ! Les hôpitaux et les IFSI (qui dépendent des Régions) ont des moyens financiers pour le moins... limités ! Cela dit, le fait d’intervenir auprès de futurs collègues -j’en rencontre tout de même quelques milliers par an- est pour moi fondamental. Je pense que c’est la meilleure façon de donner à cette filière des chances d’exister un jour et de se faire connaître. C’est l’occasion aussi de rencontrer des étudiants et parfois mêmes des formateurs très intéressés pour suivre cette nouvelle voie.
Beaucoup de personnes sont intéressées ?
A l’évidence oui. Je crois que la prévention a de beaux jours devant elle... Pour peu, bien sûr, que les moyens financiers suivent. Mais ce n’est d’ailleurs pas forcément évident. Pour illustrer ce fait, je voudrais juste vous signaler qu’un plan national “Santé et Environnement” a été lancé par les Ministères de la santé et celui de l’environnement en 2004. Et bien, un des objectifs -louable !- de ce plan est justement d’améliorer la formation des professionnels de santé... Pourtant, sur le terrain, on ne cesse de me dire que mes interventions ne pourront pas forcément se reconduire l’année prochaine pour des raisons budgétaires ! On nage encore en plein paradoxe avec cette volonté affichée par les pouvoirs publics, l’intérêt qu’y portent de plus en plus de soignants et les limites financières de plus en plus contraignantes. Pas facile !
Alors, justement, quelles qualités faut-il avoir, selon vous, pour être éco-infirmier ?
Je dirais d’abord de la patience, et de la pédagogie, tant pour la transmission des connaissances que pour faire comprendre l’intérêt de cette activité à des employeurs potentiels ou parfois aux autres soignants ! Il faut aussi beaucoup de curiosité pour réactualiser sans cesse ses connaissances. Il faut enfin un optimisme solide pour faire face aux informations souvent inquiétantes (voire déprimantes !) qu’il faut collecter, analyser et retranscrire...
Vous travaillez principalement dans les IFSI, mais ne pourrait-on pas imaginer d’autres lieux d’exercice ?
Bien sûr ! La profession est à créer, ses lieux d’exercice aussi ! Je manque de temps pour faire de la prospection mais je suis convaincu que de nombreuses formations peuvent être intéressées par les compétences d’un éco-infirmier. Par exemple, dans les formations en environnement il manque bien souvent le volet “santé”, comme il manque le volet “environnement” dans les formations de santé ! Autant de structures potentiellement intéressées. On peut aussi imaginer intervenir dans les établissements accueillant par exemple les enfants (qui sont les populations les plus sensibles aux risques liées aux diverses pollutions), pour former ou sensibiliser le personnel ou les parents.
On peut aussi imaginer un éco-infirmier travaillant pour le compte d’une collectivité qui a en charge des établissements scolaires. Les conseils régionaux ou généraux par exemple pourraient charger de mission un tel intervenant pour les collèges ou lycées (qui sont souvent demandeurs !)... Là, nous touchons une autre qualité importante pour exercer cette profession (ça a été pour moi sans doute une des plus difficiles !) : savoir “se vendre”. J’entends par là savoir mettre en évidence auprès d’un employeur potentiel l’intérêt qu’il pourrait avoir à passer contrat avec un éco-infirmier. Vous savez, il est clair que, en regard de la progression préoccupante de l’incidence de nombreuses maladies - mais aussi des coûts financiers pour la collectivité que cela représente-, la prévention va d’elle même s’imposer à terme.
Et ce jour là, on comprendra qu’il n’y a pas que le tabac, l’alcool ou le sida qui méritent des investissements de prévention ! Loin de moi de dénigrer ces thèmes (comme d’autres d’ailleurs tel l’alimentation), mais il faut reconnaître que d’autres facteurs quasiment inconnus des professionnels de santé (comme du public) méritent aussi toute notre attention !
Mais en quoi au juste pouvons nous jouer un rôle d’éducateur de santé par rapport à l’environnement ? Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Bien sûr ! Je pourrais vous en donner beaucoup ! Nous pourrions parler de questions que beaucoup de personnes se posent quant à leur santé ou celle de leurs enfants : Peut-on boire l’eau du robinet ? Est-il réellement sans danger d’utiliser un téléphone portable, de réchauffer son café dans un four micro-ondes ? Faut-il manger des produits biologiques ? Les additifs alimentaires peuvent-ils me rendre malades ?...
Vous le voyez, au quotidien, on peut se poser beaucoup de questions ! Mais un des exemples les plus marquants que je pourrais vous donner serait sans doute celui des conseils que l’on peut donner à une femme enceinte. La grossesse, comme la petite enfance sont, à ce propos, des moments d’une grande sensibilité vis à vis des polluants. On pourrait par exemple recommander à la future maman d’éviter la manipulation des peintures, des colles, solvants... Bref de ne pas repeindre la chambre du bébé ! Il faut en plus une éviction totale des pesticides à cette époque de la vie (de nombreuses études récentes confirment la nocivité de ces substances vis à vis du fœtus). On peut aussi recommander de faire le tri dans ses cosmétiques : certains composés de parfums ou de crèmes solaires par exemple seraient à déconseiller. Enfin, divers moyens simples, comme d’éviter de perdre trop de poids lors de l’allaitement, permettent aussi de limiter la contamination du lait maternel qui -je le rappelle clairement tout de même !- constitue le meilleur des aliments pour le bébé !...
C’est inquiétant ! Mais si on suivait tous ces conseils et ces recommandations, on risquerait de ne plus rien pouvoir faire !
C’est ce que me disent de nombreux étudiants que je rencontre. Mais c’est omettre plusieurs choses importantes : l’éducation à la santé c’est aussi notre travail de soignant. Et -on l’oublie un peu vite- ces recommandations ne sont pas des dogmes, des interdits. Je vous rappelle que l’éducation à la santé, c’est apporter des éléments d’information à un public. Chacun est ensuite, bien évidemment, libre d’en faire ce qu’il veut ! D’autre part, c’est la densité des informations qui peut faire peur plus que chacune d’entre elle prise isolément. J’en sais maintenant beaucoup sur le sujet et je ne suis pas devenu paranoïaque ! Je fais, certes, attention à pas mal de petites choses mais je ne vis pas dans une bulle ou dans un milieu “hyper-protégé” ! A l’issue de mes interventions en IFSI, je mange même couramment au même self que les étudiants. C’est d’ailleurs assez drôle : ils détaillent avec beaucoup d’intérêt le contenu de mon plateau repas !
Et comment se positionne un éco-infirmier sur le sujet de la protection de l’environnement, du réchauffement climatique par exemple ?
C’est une préoccupation nécessairement au cœur de son sujet. D’ailleurs, J’ai l’habitude de commencer mes cours ou certaines de mes conférences avec cette citation de René Dubos (un biologiste français) : “Penser globalement, agir localement”. Cela signifie plus concrètement que les actions que l’on peut recommander localement pour favoriser la santé ou la satisfaction de nos besoins doivent impérativement se faire dans une réflexion globale. La question à se poser est la suivante : “Est-ce que l’action que j’entreprends localement et que l’on peut imaginer reproduite par un grand nombre d’entre nous aura un impact planétaire ?” Si cet impact conduit à une dégradation des ressources ou des écosystèmes naturels alors, d’autres solutions doivent être trouvées.
Notre société est, sur ce point, complètement schizophrène. Un exemple : Le réchauffement climatique inquiète. Les canicules vont être de plus en plus courantes et pour lutter contre les risques de cette évolution, dans les maisons de retraite, on installe dans les pièces à vivre des climatiseurs... qui consomment beaucoup d’énergie et qui émettent de puissants gaz à effet de serre ! On traite une conséquence en aggravant sa cause !
Ce n’est certes pas très logique mais avons nous d’autres possibilités ?
Bien sûr ! Mais cela nécessite souvent un travail très “en amont” pour concevoir des bâtiments sobres en énergie (en eau aussi d’ailleurs) et dans lesquels on puisse vivre confortablement. Je vois, à ce propos des exemples de plus en plus nombreux de cette prise en compte globale dans la conception de bâtiments dédiés à la santé : Une maison de retraite est, par exemple construite sur ce principe à Fréjus, un IFSI dans la région Rhône-Alpes va sortir de terre dans cette même logique. Une clinique sur Béziers est même très en pointe sur cette réflexion globale (c’est d’ailleurs la première éco-clinique de France).
Un autre exemple de cette incohérence : La publicité nous pousse à la consommation d’eau en bouteille. Un des arguments les plus couramment invoqué est celui de la santé. Mais ce véritable matraquage marketing (relayé parfois par les professionnels de santé !) ne nous parle jamais des impacts indirects de la consommation d’eau sur la santé et l’environnement : outre la contamination de l’eau embouteillée par diverses substances contenues dans l’emballage, cette eau représente, par son transport, la production et la destruction de ses emballages une atteinte importante de l’environnement et de la santé. Il serait bien plus cohérent d’agir efficacement en amont pour améliorer la qualité de l’eau desservie à chacun au robinet ! Cependant, en cas de qualité insuffisante, des solutions de filtration adaptées sont possibles avec un “éco-bilan” bien plus favorable.
En fait, je dirais pour conclure que cette prise en compte des questions de protection de l’environnement doit être l’ossature même du travail d’un éco-infirmier. Les enjeux sont fondamentaux. C’est même une question de survie de l’espèce. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les divers rapports très officiels publiés encore récemment par les institutions internationales.
Je présume que vous avez signé le pacte écologique de Nicolas Hulot ?
Oui, bien sûr. Je l’ai fait même si certains aspects de cette entreprise sont discutables, nous n’avons plus vraiment le temps de tergiverser. Vous savez, la communauté scientifique nous donne aujourd’hui 10 à 15 ans pour modifier en profondeur nos rapports à l’environnement. Sans quoi la dégradation des écosystèmes pourrait nous conduire à notre perte et cela à l’échelle de moins d’un siècle... La tâche est immense et il va en falloir en urgence des éco-infimiers !
Votre objectif maintenant ?
J’en ai plusieurs : Mettre sur place une formation d’éco-infirmier, continuer à rechercher de nouveaux débouchés possibles pour des collègues à venir, et peut être entreprendre un travail de reconnaissance de cette spécificité, quoi que je n’aime pas trop l’idée d’une “spécialisation”. A mon avis, on se repose souvent trop sur les “spécialistes” pour mieux se rassurer de ne pas connaître parfois même le minimum sur un sujet. Je pense qu’il devrait être du rôle de chaque soignant d’intégrer ces recommandations dans sa pratique.
Que voulez vous dire à quelqu’un qui souhaiterait devenir éco-infirmier ?
C’est un super projet : bravo ! Si vous êtes intéressés, si vous voulez en savoir plus ou partager votre réflexion sur le sujet, ce sera avec plaisir. N’hésitez donc pas à me contacter.