(Rédaction mai 2008)
Le pétrole et ses origines
De petra (pierre) et oleum (huile), le pétrole résulte de la dégradation thermique de matières organiques contenues dans certaines roches ("roches mères"). Ces matières organiques sont des végétaux aquatiques ou terrestres et des bactéries (elles sont dites "kérogènes”)". Mêlée aux sédiments minéraux cette roche mère a été peu à peu entraînée à de grandes profondeurs. Là, sous l’action des hautes températures, le kérogène se transforme en pétrole et en gaz qui remontent pour s’infiltrer dans des roches poreuses (roches réservoirs). Si ces roches poreuses sont surmontées de roches imperméables (roches couvertures), le pétrole, le gaz et l’eau qui les accompagnent vont s’y stocker. Une fois le gisement découvert, l’exploitation du pétrole est simple. Un simple forage permettra au pétrole sous pression dans la roche réservoir de remonter à la surface. Mais, peu à peu la pression du gisement baisse.
Le début de l’exploitation du pétrole commence en 1859 aux Etats Unis à Titusville (Pennsylvanie). Elle devrait atteindre un maximum (le “pic de Hubbert”) avant de décliner inexorablement . La mesure de référence , le baril, en contient 159 litres. On en produit actuellement environ 84 millions par jour. L’essentiel des ressources se trouve au Proche-Orient. L'OPEP dispose officiellement de 75 % des réserves planétaires. La consommation mondiale de pétrole continue d’augmenter (même si cette augmentation s’est ralentie significativement depuis quelques années). Rien ne laisse penser à une diminution prochaine de la demande, au contraire : le développement des pays émergents et l’incapacité des pays riches à diminuer sensiblement leur consommation vont inévitablement conduire à des tensions de plus en plus fortes sur les ressources restantes.
Le prix de cette matière première a connu de fortes augmentations notamment lors des deux chocs pétroliers. Aujourd’hui, il atteint à nouveau des sommets à 126 $ le baril (mai 2008). Son prix a été pratiquement multiplié par 10 depuis 10 ans (il était à 13$ en mars 1998). De nombreux spécialistes parlent d’un cours se situant entre 220 et 380$ lors du franchissement du pic de Hubbert.
Son prix actuel est la conséquence de divers facteurs : instabilité politique de certains pays producteurs, sensibilité aux aléas climatiques de nombreuses zones d’exploitation, spéculation mais surtout d’une demande trop forte en regard de la production. Alors que nous consommons quasiment autant de pétrole que nous en produisons et que la demande continue de croître, une question fondamentale est de savoir si les capacités de production peuvent augmenter et si oui dans quelle proportion ? De plus en plus de voix s’élèvent justement pour dénoncer l’imminence du pic de Hubbert et le début du déclin de la production : Des spécialistes dénoncent des déclarations officielles de réserves pétrolières largement exagérées. Les raisons de ces surévaluations sont nombreuses, la principale étant en 1985 la mise en place par l’OPEP (suite à la chute des cours), de quotas d’exportation indexés sur les réserves déclarées par les pays producteurs. Le niveau des réserves déclarées n’étant soumis à aucun contrôle international et ces données constituant un enjeux stratégique de première importance, de nombreux pays, afin d’augmenter leur ventes pour compenser la chute des cours ont procédé à des augmentations conséquentes de déclaration du niveau de leurs réserves. Ainsi, entre 1995 et 1991, ces niveaux ont été réévalués de 1,9 fois en moyenne par les principaux pays de l’OPEP. Les spécialistes tant des pays consommateurs que des compagnies pétrolières ne pouvant dénoncer ouvertement une telle manipulation (il n’est pas de bon ton de se fâcher avec un pays producteur !) parlèrent alors pudiquement de “barils papiers”. Le site internet du pétrolier Total indique à ce propos : “En publiant leurs chiffres de réserves, les pays producteurs font passer un message qui exprime leur poids dans le monde pétrolier. Ils sont donc très jaloux de ces chiffres et, en général, n’indiquent pas comment ils ont été calculés”. “Peu après la mise en place du système (des quotas), on a vu des pays dont les réserves ont été multipliées par 2 en un an sans qu’ils aient réalisé de découverte importante.”
De nombreux organismes se basent sur les déclarations officielles du niveau des réserves pour tenter d’établir la période de début de déclin de la production... D’autres se basent sur un état des stocks plus réaliste. Dès lors, Il n’est pas vraiment surprenant de trouver des dates très variables concernant l’épuisement de la ressource.
Il y a pétrole et pétrole :
- Le pétrole conventionnel (il représente 95% de la consommation actuelle) correspond à un pétrole assez léger. Son extraction est simple : la simple pression interne du gisement suffit à le faire remonter. Lorsque la pression devient trop faible, des techniques de pompage (ou d’injection d’eau ou gaz) complètent la production.
- Le pétrole non conventionnel, qui représente 5% de la consommation. C’est un pétrole plutôt lourd, nécessitant des méthodes d’extraction complexes. Ils constitue les huiles lourdes, les sables asphaltiques (exploités aux USA ou au Canada) et les schistes bitumeux. Les méthodes d’extraction consomment énormément d’eau et d’énergie et constituent une menace sévère pour l’environnement. Un autre pétrole non conventionnel est celui extrait en eaux profondes (dans le Golfe du Mexique, au large des côtes africaines ou, en projet à plus long terme, dans les régions polaires notamment). Là encore, l’exploitation est plus complexe et coûteuse.
Voyons rapidement l’impact du franchissement du pic pétrolier sur divers secteurs d’activité.
L’agriculture :
Le pétrole est très présent dans ce secteur aussi : consommation des machines, chauffage de diverses productions, réfrigération, emballage, production de pesticides et d’engrais, transport (nourriture pour animaux, des produits d’importation, d’exportation...) Les tendances pour l’avenir ? Une augmentation des coûts de production, une relocalisation et un réduction forte de la distance producteur-consommateur, effondrement de la vente de produits “hors saison” (adieu les fraises et tomates en hiver), développement de la filière biologique (moins gourmande en énergie fossile, meilleur productivité des sols (à comparer avec une production intensive qui n’aura plus les moyens de distribuer généreusement des fertilisants sur les sols).
Les transports :
95% des déplacements dans le monde utilisent le pétrole. En France notre dépendance aux transports dans la vie quotidienne est forte. Les tendances pour l’avenir ?
Une augmentation des coûts de déplacement avec des difficultés particulières pour les personnes vivant loin de leur lieu de travail. Comme dans l’agriculture, une relocalisation de la production s’opérera sans doute. Reste à savoir si nous aurons encore le savoir faire pour des productions délocalisées depuis de nombreuses années ! Le travail à domicile, tout comme les réunions téléphoniques ou via internet seront sans aucun doute en très net développement.
Concernant le transport aérien, sa dépendance au pétrole est totale. De plus, le kérosène étant mondialement détaxé depuis 1944, les prix d’exploitation des compagnies aériennes sont encore plus sensibles aux fluctuations du marché. Il est très probable que le prix du transport aérien connaisse dans les années qui viennent une véritable “envolée” qui mettra ce moyen de transport hors de portée de la plupart d’entre nous. Les voyages de demain seront sans doute moins fréquents, moins lointains, moins rapides et plus coûteux.
Quelles solutions pour remplacer le pétrole.
Les agrocarburants (ou biocarburants)
Ils sont souvent présentés comme l’alternative aux carburants classiques...
Pourtant, à la seule échelle française, le fait de vouloir en incorporer 10% dans les carburants conventionnels conduirait à mobiliser pour cette production 2 à 3 millions d’hectares (soit 20% des surfaces labourables). La compétition pour l’usage des cultures (alimentation ou carburant) conduit déjà à de fortes pressions sur les stocks et à une flambée des cours menaçant ainsi la sécurité alimentaire d’une importante partie de la population mondiale. Le Brésil, qui se dit prêt à augmenter sa production, le ferait en accélérant la déforestation de l’Amazonie (avec des menaces tant sur la biodiversité que sur l’érosion des sols ou le régime des pluies). L’intérêt des agrocarburants sur le réchauffement climatique est tout aussi douteux : la mise en culture génère des émissions de gaz à effet de serre. Reste donc à espérer pour un avenir viable de cette filière l’apparition de biocarburants de deuxième génération qui permettent d’éviter notamment une compétition carburants-alimentation...
L’hydrogène
Des voitures roulant à l’hydrogène n’émettent que de la vapeur d’eau... Le rêve !
La réalité est plus complexe : L’hydrogène n’existe quasiment pas en l’état dans notre environnement, il est associé à des molécules d’oxygène pour former de l’eau par exemple. En fait, il faut l’extraire de l’eau (par un procédé d’électrolyse) ou -ce qui est actuellement fait- à partir.... du gaz naturel ! En fait, il faut considérer ce gaz comme un “vecteur” (comme le serait une batterie que vous venez de recharger) et non comme une source d’énergie. Même si cette production d’hydrogène venait à se faire plus facilement ou sans consommer autant d’énergie, resterait à surmonter d’autres obstacles de taille : sa production en masse et son stockage (c’est un gaz très difficile à piéger), sa distribution (c’est un gaz hautement inflammable et explosif). Il resterait enfin à renouveler le parc des automobiles et des camions... Bref, si l’hydrogène est une énergie d’avenir... Ce n’est pas celle d’un avenir proche et nous ne disposons pas du temps nécessaire...
La fusion thermonucléaire (ITER)
Pour reproduire la fusion thermonucléaire qui alimente les étoiles (et notamment notre soleil), les défis à relever sont considérables : pour faire fusionner les noyaux d’hydrogène (deutérium et tritium plus exactement), il faut obtenir des température de 100 à 150 millions de degrés. Aucun matériau n’étant capable de contenir de telles températures, il faut placer le mélange en suspension dans une “bouteille magnétique” composée d’électro-aimants supraconducteurs maintenus à -269°C... Pas simple. Le projet devient encore plus délicat quand on connait la difficulté de produire et de stocker du tritium ou celle de trouver des matériaux capables de supporter un flux très intense de neutrons de haute énergie générés par la réaction.
Le nucléaire (la fission thermonucléaire)
L’énergie nucléaire produit de l’électricité sans émettre de gaz à effet de serre. On est donc en droit de penser qu’il peut constituer une énergie d’avenir permettant d’éviter tout autant le choc énergétique du à la dépletion pétrolière et de limiter nos émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, il ne s’agit là que d’une illusion savamment entretenue en France par un groupe industriel et économique très puissant. Voici en quoi le nucléaire ne peut être la solution :
La consommation d’énergie électrique est aujourd’hui importante (chauffage électrique particulièrement développé en France ou climatisation). Les pointes de consommation occasionnelles poussent EDF à tirer du courant sur le réseau européen, ou à la remise en fonctionnement des unités thermiques classiques qui ont longtemps été particulièrement polluantes du fait d’un sous investissement chronique.
Le nucléaire ne couvre qu’une part très réduite de la production mondiale d’énergie : 6% (17% de la consommation d’énergie en France1). Remplacer le pétrole ou les autres énergies fossiles par le nucléaire reviendrait à construire en très grand nombre des réacteurs dans les pays en voie de développement notamment. Cette hypothèse soulève alors de très nombreuses interrogations : Quel pays pourra se permettre de tels investissements ? Comment s’assurer que ces réacteurs ne deviendront pas des cibles de guerre ou d’attentat ? Peut-on être certain d’un suivi et d’un contrôle efficace de ces installations par les pouvoirs publics, en ont-ils les moyens, sont-ils suffisamment stables ? Peut-on s’assurer que des pays qui développeraient ces réacteurs ne pourraient pas un jour s’en servir pour menacer l’environnement des pays limitrophes dans une forme de terrorisme écologique ? Ne risque t-on pas de voir les risques de prolifération augmenter fortement ? Peut on s’assurer d’un suivi correct et durable des déchets produits ?
Les ressources de combustible (uranium) sont limitées. Un développement de la filière nucléaire ferait immanquablement flamber les cours de cette matière première. La France, rappelons le, importe la totalité de l’uranium qu’elle consomme.
La consommation d’eau pour le refroidissement des réacteurs est considérable. Les sécheresses qui pourraient se multiplier dans l’avenir conduirait à des risques d’arrêt de fonctionnement d’installations situées sur certains fleuves (alors que c’est justement en été, du fait de la généralisation de la climatisation, que la consommation atteint des pointes de consommations problématiques).
Les énergies renouvelables
Ces sources d’énergie sont nombreuses : solaire (thermique pour la production de chaleur et photovoltaïque pour la production d’électricité), éolien, géothermie, hydraulique, biomasse, marémotrice...
Souvent complémentaires, ces énergies sont caractérisées par des flux et non des stocks. Elles sont bien mieux adaptées à des petites unités de production très décentralisées et proches des lieux de consommation. Malgré leur potentiel et leur excellent bilan environnemental, elles restent insuffisantes pour l’instant à assurer le remplacement des produits fossiles.
Ni l’hydrogène, ni les biocarburants, ni la fusion ou l’énergie nucléaire ne sont donc la solution...
Mais alors...
A l’issue de cette réflexion, on comprend d’une part l’urgence d’une anticipation de la crise énergétique (et écologique !) et d’autre part notre incapacité à y faire face avec les moyens de substitution qui nous sont souvent présentés. Alors, comment faire ?
Il existe une voie, facilement applicable, d’un coût financier bien plus acceptable qu’une relance du parc nucléaire, une voie génératrice d’un grand nombre d’emplois (non délocalisables qui plus est !), une voie parfaitement opérationnelle, immédiatement accessible et n’émettant pas de gaz à effet de serre... c’est la sobriété énergétique.
A en croire nos responsables politiques, notre économie pour assurer durablement sa bonne santé doit s’assurer du moindre petit point de croissance supplémentaire. Notre système économique nous impose cette logique : pas de création d’emploi sans augmentation de la consommation (et donc du pouvoir d’achat) sans augmentation de la croissance.... Rajoutons à cette idée la suite logique de toute augmentation de la croissance : plus de consommation de matières premières... et d’énergie. Certes, dans les pays développés nous avons notablement amélioré notre efficacité énergétique (le rapport de l’énergie consommée pour la production d’un bien donné), il n’en reste pas moins que toute augmentation de la croissance (et donc de la consommation) passe inévitablement par une augmentation de la consommation d’énergie... Voir en face la situation de la production de pétrole et ses tendances à court terme nous conduit inévitablement à nous dire que notre modèle économique ne sera plus viable dès lors que les prix de l’énergie auront atteint des sommets. Parler d’une incontournable sobriété énergétique constitue dès lors une véritable révolution, tant dans les mentalités que dans les techniques.
Avec cet éclairage, on comprend alors mieux le positionnement de nos responsables politiques qui, on peut l’imaginer, sont conscients de l’impasse dans laquelle nous sommes mais qui (à moins d’être prêts à vivre une révolution) ne peuvent qu’attendre le choc du mur d’en face pour nous proposer une autre alternative. Reste d’ailleurs à savoir laquelle !
En voyant cela de façon plus positive, nous pourrions aussi dire que nous sommes à la veille de la construction d’une autre société, une société dont le fondement incontournable serait de gérer les pénuries (pénuries d’énergie, de matières premières et - ne l’oublions pas- d’eau).
En attendant, la sobriété peut -et doit- se décliner dès aujourd’hui dans tous les secteurs de nos activités humaines : agriculture, industrie, loisirs, transports... De nos capacités tant collectives qu’individuelles à anticiper cette révolution dépend l’ampleur du choc qui s’annonce. Plus que jamais, le bon vieil adage “prévenir vaut mieux que guérir” prend tout son sens.
Pour conclure
Les sociétés qui naîtront de cette révolution sans précédent qui s’annonce peuvent nous conduire au repli sur soi, aux nationalismes les plus exacerbés, aux communautarismes, à l’affrontement local et global dans un environnement à l’agonie... Elles peuvent nous conduire au chaos, à une société humaine moribonde. Mais elles peuvent aussi nous conduire à l’intelligence d’une sobriété éclairée, d’un renouveau de la coopération internationale pour la préservation des grands équilibres planétaires dont nous dépendons tous (limiter la consommation de pétrole, c’est limiter nos émissions de gaz à effet de serre... et donc protéger le climat !). Elles peuvent nous conduire à l’âge du “Etre plus” après celui du “Avoir plus”. Elles peuvent nous conduire à une société construite sur le lien social et le souci de l’avenir. Faut-il faire preuve d’un optimisme béat, d’une complète utopie pour imaginer ce scénario plutôt que le premier ? Réfléchissez plutôt : Lequel de ces scénarios vous fait avancer ? Lequel vous permet de regarder avec confiance le regard d’un enfant ? Lequel vous permet simplement d’avoir envie de poursuivre ? Croyez vous que beaucoup d’êtres humains puissent préférer le premier de ces scénarios ? Non ? Alors pourquoi ne pas commencer aujourd’hui à écrire le second ?
Que nous le voulions ou non, les sociétés de l’aprés pétrole, les sociétés “post-carbone” sont inévitables, elles sont en marche. Nous allons commencer très prochainement à les construire. A nous de choisir de les écrire en lettres de sang...ou d’espoir